• Lettre de poilu (1)

     

                              Le Linge, 17 décembre 1915

     

    Chère Lucile,

    Je profite d'un moment d'accalmie pour t'écrire cette lettre, qui peut très bien être la dernière. Je perd petit à petit l'espoir de te revoir mais il en reste toujours un peu. J'ai la chance d'être encore en vie, je souffre de l'absence de mes camarades morts sur le front.

    J'ai aujourd'hui encore cassé mes lunettes, c'est la deuxième paire en un mois, je ne vois plus où je tire et je vois encore moins bien qu'avant les obus arriver, je dois attendre le prochain moment de repos pour aller voir l'infirmière et lui demander une nouvelle paire.

    Nous manquons de nourriture car la dernière cargaison a été bombardée dans la vallée au pied de la montagne. En attendant la prochaine, nous mangeons ce que l'on trouve, j'ai vu un homme manger un cadavre, moi je mange de la terre ou des cafards, quand j'en trouve. Des rats aussi, mais rares sont les jours où j'arrive à en capturer un. Ils sont soient apeurés par le bruit des balles ou alors morts de froid.

    Le froid ici est invivable, je pense que la neige ne va pas tarder à tomber. Par chance, nous avons été livrés en vestes d'hiver et en bottes neuves, les miennes étaient vraiment dans un mauvais état, trouées et laissant passer l'eau et la boue, j'avais les pieds bleus et froids, je ne les sentais presque plus.

    Aujourd'hui, je retourne en première ligne, j'espère ne pas mourir.

    J'espère également te revoir bientôt,

                                                           Richard

                                    (Emilia Burel 3° 1)